Un demi-siècle d’espoir et de turbulences: Créée le 28 mai 1975 à Lagos, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fête ses 50 ans cette année. Une institution régionale qui s’était donnée pour mission de favoriser l’intégration économique, politique et sociale des États membres, de garantir la paix et la stabilité dans la sous-région, tout en promouvant la libre circulation des personnes et des biens.
Mais après un demi-siècle d’existence, une question s’impose avec acuité : la CEDEAO a-t-elle réellement répondu aux attentes des peuples ou est-elle devenue un syndicat de chefs d’État ? Le rêve d’une Afrique de l’Ouest unie semble plus que jamais en suspens.
Une CEDEAO née dans un contexte postcolonial complexe
La CEDEAO a été conçue comme un instrument de développement et de coopération sous-régionale, dans un contexte de jeunes États encore fragiles, marqués par des systèmes économiques hérités de la colonisation et une instabilité politique chronique.
Avec 15 pays membres aux réalités politiques, linguistiques et économiques très différentes (francophones, anglophones, lusophones), le pari de l’unité régionale était ambitieux mais nécessaire. L’objectif était clair : créer un espace économique intégré, avec une gouvernance politique harmonisée.
Des acquis notables, souvent oubliés par les peuples
Malgré les critiques, la CEDEAO ne part pas de zéro. Plusieurs initiatives ont marqué positivement son histoire :
Libre circulation des personnes et des biens
La mise en place d’un passeport CEDEAO, l’abolition des visas entre les pays membres, et les efforts vers la suppression des barrières tarifaires ont facilité les échanges intra-communautaires.
Le rêve d’un citoyen ouest-africain capable de traverser les frontières sans contraintes semblait en bonne voie.
Rôle dans la prévention des conflits
L’intervention militaire de la CEDEAO via l’ECOMOG (Liberia, Sierra Leone) ou les efforts diplomatiques en Guinée-Bissau, au Mali, et en Gambie (en 2017 pour évincer Yahya Jammeh) ont permis de préserver une certaine stabilité dans une région régulièrement secouée par les coups d’État et les crises politiques.
Création d’institutions communautaires
Le Parlement de la CEDEAO, la Cour de justice communautaire, ou encore le tarif extérieur commun (TEC) sont des avancées institutionnelles qui posent les bases d’une gouvernance commune, bien qu’elles restent largement méconnues ou sous-utilisées.
Les échecs criants qui fragilisent la légitimité de l’organisation
Pour de nombreux citoyens, la CEDEAO est une institution éloignée de leurs réalités. Plus proche des palais présidentiels que des marchés populaires. Plusieurs faiblesses majeures entachent son bilan :
Intégration économique lente et incomplète
Malgré les discours, les échanges commerciaux entre États membres restent faibles (environ 15 % seulement du commerce total des pays de la CEDEAO se fait au sein de la communauté). Les infrastructures manquent, les normes ne sont pas harmonisées, et les barrières non tarifaires subsistent.
Gouvernance biaisée et manque de démocratie
La CEDEAO peine à sanctionner efficacement les dérives autoritaires, les troisièmes mandats anticonstitutionnels, ou les manipulations électorales.
Elle est perçue comme l’ »union des chefs d’États », plus soucieuse de stabilité politique que de justice démocratique.
Inaction face aux crises actuelles
Les récentes ruptures (Mali, Burkina Faso, Niger) ont mis à nu l’incapacité de la CEDEAO à dialoguer avec les peuples. Les sanctions ont touché les populations, pas les dirigeants. Cela a accentué la défiance des jeunes générations envers une institution perçue comme obsolète.
Vers une CEDEAO des peuples : mythe ou possibilité réelle ?
Le défi pour les 50 prochaines années sera de réconcilier la CEDEAO avec ses citoyens. Pour cela, il faudra :
Refonder la gouvernance communautaire
Inclure la société civile, les syndicats, les jeunes, les femmes et les acteurs économiques dans les processus de prise de décision. Il est temps de bâtir une CEDEAO des peuples, et non une CEDEAO des élites.
Investir massivement dans les infrastructures régionales
Routes, chemins de fer, énergies, plateformes numériques… l’intégration ne sera réelle que si la connectivité régionale devient une priorité.
Réformer les textes pour plus de transparence
Imposer des critères démocratiques clairs et non négociables pour appartenir à la communauté. La CEDEAO doit avoir le courage de sanctionner les régimes qui violent la volonté populaire.
Un tournant décisif ou la fin d’un rêve collectif ?
À 50 ans, la CEDEAO est à la croisée des chemins. Elle peut choisir de se réinventer, en se rapprochant des préoccupations des peuples, en incarnant une réelle volonté d’unité, de progrès et de dignité. Ou elle peut sombrer dans l’indifférence et l’obsolescence.
L’Afrique de l’Ouest mérite mieux. Sa jeunesse attend une CEDEAO qui écoute, agit et protège.
La communauté a cinquante ans. Il est temps qu’elle passe de l’âge de la parole à celui de l’action.
Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
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