Dans un contexte ouest-africain marqué par des tensions politiques, des transitions militaires, des conflits d’intérêts régionaux et une méfiance croissante envers les institutions internationales, la diplomatie silencieuse du président togolais Faure Gnassingbé attire l’attention. Régulièrement appelé à jouer les médiateurs dans les crises régionales, notamment auprès de régimes militaires comme ceux du Burkina Faso, du Niger ou du Mali, le chef de l’État togolais semble incarner une certaine neutralité africaine.
Mais cette posture de « sage discret » est-elle aussi légitime qu’on le pense ? Que signifie réellement ce rôle de médiateur quand on dirige soi-même un pays dont le modèle démocratique est contesté depuis des décennies ? Et surtout, quelles sont les limites, les risques ou les contradictions que cela implique ?
Un médiateur aux multiples casquettes
Depuis quelques années, Faure Gnassingbé s’est taillé une image de faiseur de paix. Tourné vers la diplomatie silencieuse, il s’est proposé comme facilitateur dans des crises sensibles, là où d’autres dirigeants ouest-africains — souvent plus bruyants mais moins écoutés — ont échoué.
Le Togo accueille d’ailleurs discrètement des négociations avec des représentants de régimes militaires en rupture avec la CEDEAO. Une neutralité géographique et politique qui séduit certains. Faure Gnassingbé est perçu par ces régimes de transition comme un président « non-ingérent », pragmatique, et surtout, loin des injonctions occidentales.
Mais cette position soulève une interrogation fondamentale : peut-on être médiateur légitime quand son propre pouvoir est né d’un long règne dynastique, renforcé par des révisions constitutionnelles et des contestations populaires répétées ?
Une crédibilité en question
Le Togo vit sous la gouvernance de la famille Gnassingbé depuis plus de 50 ans. Faure, successeur de son père Gnassingbé Eyadéma en 2005, a été élu dans des conditions que de nombreuses voix, tant nationales qu’internationales, ont dénoncées comme entachées d’irrégularités. Malgré quelques réformes cosmétiques, le pays reste marqué par un déficit démocratique chronique, des atteintes à la liberté d’expression, et une opposition muselée.
Dès lors, pour certains observateurs, la posture de médiateur semble paradoxale. Comment promouvoir le dialogue, l’alternance, la bonne gouvernance ailleurs, quand chez soi, ces principes sont fragilisés ? Cela revient à prêcher une morale qu’on n’applique pas entièrement à domicile.
Le danger d’un double discours
Ce rôle de médiateur peut également être perçu comme une stratégie diplomatique intelligente, visant à repositionner le Togo sur l’échiquier régional. En jouant l’intermédiaire, Faure Gnassingbé gagne en influence, se crée des alliés inattendus, et surtout, se place au cœur de la recomposition géopolitique ouest-africaine, notamment face au recul des anciennes puissances coloniales.
Mais il y a un risque : celui de renforcer un clan des régimes « forts », qui valorisent la stabilité au détriment de la démocratie. En se rapprochant des juntes militaires sous couvert de médiation, le président togolais peut apparaître comme un passeur idéologique, normalisant les pratiques autoritaires sous l’étiquette de « solutions africaines à des problèmes africains ».
Une opportunité de réinvention… ou un miroir de ses limites ?
L’Afrique de l’Ouest traverse une période charnière. Les peuples réclament plus de justice, plus de voix, plus de transparence. Dans ce contexte, le rôle des médiateurs devrait être incarné par ceux qui inspirent confiance, qui incarnent une forme d’exemplarité démocratique.
Faure Gnassingbé peut-il être ce visage ? Peut-être. Mais à condition que son propre pays reflète les valeurs qu’il prétend porter dans la sous-région. La médiation ne peut être crédible que si elle se fonde sur une légitimité morale, pas seulement sur une posture politique.
Médiateur, oui… mais à quel prix ?
La paix en Afrique ne peut pas être négociée dans l’ambiguïté. Si le président togolais veut sincèrement jouer un rôle de pacificateur, il lui faudra un jour répondre à cette question essentielle : la paix que je propose aux autres, suis-je prêt à la construire chez moi, dans la justice, la vérité et le respect des aspirations populaires ?
Car à vouloir jouer les arbitres sans balayer devant sa propre porte, on finit parfois par ressembler à ceux dont on prétend apaiser les dérives.
Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
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