Ils l’ouvrent chaque dimanche, y trouvent la foi, l’espérance et l’amour. Pourtant, derrière les pages sacrées de la Bible, nombreux sont ceux qui se demandent : et si cette parole divine avait été détournée, travestie, reconfigurée au détriment du peuple noir ? En Afrique comme dans la diaspora, une question brûle de plus en plus fort : à qui appartient vraiment l’histoire biblique ?

La Bible, un texte africain aux racines méconnues ?
La Bible est souvent présentée comme un livre judéo-chrétien à la culture essentiellement occidentale. Mais ce récit est bien plus enraciné en Afrique que ce que beaucoup imaginent.
Moïse a grandi en Égypte, terre africaine.
Les Hébreux ont trouvé refuge en Afrique à plusieurs moments de leur histoire.
Jésus lui-même s’est réfugié en Égypte selon Matthieu 2:13-15.
Simon de Cyrène, l’homme qui aida Jésus à porter sa croix, venait de Libye, en Afrique du Nord.
L’Afrique ne serait donc pas un chapitre annexe, mais bien un acteur central du récit biblique. Pourtant, dans les représentations populaires, tout a été blanchi : visages, héros, géographie.
Détournement colonial ou déformation volontaire ?
Durant la période coloniale, les puissances européennes ont utilisé la Bible comme outil de domination.
Les missionnaires arrivaient souvent avant les militaires. On disait au peuple africain :
« Fermez les yeux, priez… Quand vous les ouvrirez, vous aurez la foi, nous aurons vos terres. »
La spiritualité ancestrale africaine, pourtant profondément connectée au divin, a été qualifiée de sorcellerie, de païenne, voire de diabolique.
Des récits bibliques ont été filtrés, interprétés et imposés pour justifier l’esclavage, l’obéissance au maître, la soumission à l’ordre établi.
Le fameux verset :
“Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair…” (Éphésiens 6:5)
fut l’un des plus cités pour justifier l’asservissement des Noirs.
Des personnages noirs devenus blancs : l’effacement symbolique
La Bible regorge de noms qui résonnent avec l’Afrique ancienne :
Cush, Mizraïm, Saba, Put… autant de territoires correspondant aux régions d’Afrique noire.
Le Cantique des Cantiques évoque : “Je suis noire et belle, filles de Jérusalem” (Cantique 1:5).
Mais l’iconographie religieuse, des tableaux de la Renaissance aux films hollywoodiens, a reblanchi l’histoire :
Moïse, Jésus, Marie, les prophètes sont presque toujours représentés comme Européens blancs, créant une distance identitaire entre le croyant africain et le message qu’il lit.
Une relecture décoloniale de la foi : le retour des théologiens noirs
Face à ce détournement historique, une nouvelle génération de chercheurs, pasteurs et penseurs africains s’élève.
Ils ne rejettent pas forcément la Bible, mais appellent à une réappropriation critique, en lien avec l’histoire et la spiritualité africaine.
Parmi eux :
James Cone, fondateur de la « Black Liberation Theology »
Cheikh Anta Diop, qui a démontré les racines noires des civilisations antiques bibliques
Albert Atchoaré, pasteur togolais, qui prêche une foi libératrice enracinée dans l’histoire africaine
Ils interrogent :
➡️ Pourquoi la spiritualité africaine précoloniale a-t-elle été diabolisée ?
➡️ Pourquoi les figures bibliques noires sont-elles effacées dans l’enseignement religieux ?
➡️ Pourquoi les Africains ne sont-ils pas autorisés à interpréter eux-mêmes leur rapport au divin ?
Vers une Bible réappropriée ?
Ce n’est pas tant le livre qui est remis en cause, mais l’usage qui en a été fait.
Nombre d’Africains restent profondément croyants. Mais aujourd’hui, ils réclament une foi décolonisée, enracinée, consciente.
Cela passe par :
Des traductions bibliques fidèles aux langues africaines
Une relecture historique des textes
La mise en valeur des figures africaines dans les Écritures
Un dialogue entre traditions africaines et message chrétien
La foi comme outil de libération, et non d’aliénation
Il ne s’agit pas d’abandonner la Bible. Il s’agit de la relire avec des yeux éveillés, et de comprendre que Dieu n’est l’otage d’aucun empire.
Comme le disait le pasteur afro-américain Jeremiah Wright :
“Nous ne servons pas un Dieu européen. Nous servons un Dieu de justice, qui parle toutes les langues, et qui marche aux côtés des opprimés.”
Une Bible à reconstruire dans la vérité
La Bible est un récit complexe, puissant, sacré. Mais elle est aussi une histoire vivante que le peuple noir a souvent portée, incarnée et souffert.
À l’heure où l’Afrique cherche à réécrire son histoire, il est temps de relire aussi la parole qui a tant marqué son destin, avec lucidité et dignité.
Car la foi sans mémoire est une prison. Et la spiritualité sans vérité est un mensonge.
Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
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