Chacun de nous a des éléments auxquels il fait référence lorsqu’il veut dire ce qui fait sa fierté. Pour certains c’est leur carrière, leurs diplômes, pour d’autres c’est leurs enfants, les produits de leurs champs, les objets qu’ils ont fabriqués, des choix moraux, etc.
Alors, le titre de gloire des Tchadiens est-ce d’avoir à la tête de leur pays Idriss DEBY ? Il faut croire que c’est le cas d’une partie d’entre eux. En effet pour qu’une Assemblée Nationale vote à 100% sans aucune abstention, l’attribution du grade de maréchal à Idriss DEBY pour services rendus à la nation, il faut que le personnage soit vraiment exceptionnel !
Oui exceptionnel. Exceptionnelle longévité au pouvoir ! En effet, c’est vrai que c’est lui qui a manifesté le plus de stabilité au pouvoir dans un pays qui, dès 1965, à peine cinq années après son indépendance, a connu des bouleversements sans nom, plusieurs guerres civiles, des conflits avec le voisin libyen, les appétits dévastateurs d’un pays comme la France, etc. Mais, Idriss DEBY lui, conduit les destinées du Tchad depuis 1990. Et cela risque de durer encore longtemps puisque d’après la Constitution en vigueur depuis 2018, à la fin du présent mandat en 2021, il pourra encore briguer deux mandats successifs de six ans, 43 années à la tête d’un pays… Il n’y a pas beaucoup de présidents en Afrique qui pourraient se vanter d’une telle longévité !
Personnage exceptionnel, oui. Exceptionnels paradoxes durant son passage à la tête de l’Etat. En effet en 2003 le Tchad devient producteur de pétrole, normalement source de richesse. Mais en 2019, la Banque Mondiale met ce pays à la dernière place dans son classement de l’indice humain. En effet la Banque Mondiale parle d’un accroissement du nombre de pauvres entre 2011 et 2019 : 1 enfant sur 5 n’atteindra pas sa cinquième année, les enfants entre 4 et 18 ans ne resteront en moyenne que 5 ans sur les bancs d’école, etc.
Alors pourquoi ce vote du 26 juin 2020 ? Pour être un des rares pays africains à avoir un maréchal ? Est-ce vraiment un titre de gloire de prendre la suite du maréchal MOBUTU ? Et on se rappelle que la République Centrafricaine a toujours du mal à se relever du fait d’avoir
eu un empereur en la personne de BOKASSA !
Finalement, un maréchal, est-ce vraiment ce dont le Tchad a besoin en ce moment ? Alors que les Noirs essaient d’exiger des uns et des autres de montrer dans les rues des grandes villes du monde où ils vivent, de citer dans les livres d’histoire présentés à leurs enfants, des personnages, qui font en vérité leurs titres de gloire, le Tchad, pays du continent des Noirs
exhibe un homme, un président qui n’est pas une figure de gloire ni du Tchad ni du continent et encore moins de l’humanité. Il n’est pas l’incarnation de l’espoir de tout un continent alors pourquoi veut-il être en ce XXI siècle l’exposant de ce qui ne fait pas honneur à la jeunesse africaine ? Changeons d’échelle.
Quels pourraient être les titres de gloire d’une institution, comme une université ? Avoir bien formé des générations qui ont largement contribué à la construction du pays ? Comment dire cela de nos universités ? Leurs produits sont-ils bien formés ? Comment répondre et le prouver avec le nombre d’entre eux qui est au chômage ou en sous-emploi, dans l’informel ? Et quelle est l’efficacité des fameux cours en ligne de ce semestre de Mousson 2020 remis en cause à juste titre le 25 juin dernier par le Syndicat de l’Enseignement Supérieur du Togo (SEST) ?
Alors, le titre de gloire de nos universités serait d’avoir produit du savoir ? Hélas ! L’état de la recherche ne dit pas cela ! Combien de brevets, de prix ? Et les publications ? Elles servent pour la plupart seulement à compléter les dossiers de promotion !
Alors, nos universités pourraient-elles trouver leurs titres de gloire pour avoir rendu service à la communauté ? Aujourd’hui, cela serait difficile à croire. En effet, les universitaires semblent avoir fait le choix du silence face aux problèmes de la communauté, même lorsqu’ils ont participé à des gouvernements et cela a été fréquent ! Sommes-nous trop sévères avec eux ? Peut-être. Mais pour bien répondre à cette question il faut se demander ce qu’il en est des titres de gloire dans la vie d’un individu. En effet leur choix est très révélateur.
Nous avons cité plus haut un certain nombre d’éléments. Prenons l’exemple de celui qui veut faire de sa carrière son seul titre de gloire, que ne sacrifierait-il pas pour cela, son temps, son énergie, ce qui est tout à son honneur. Mais pour faire carrière certains sont prêts aussi à accepter des compromis, puis des compromissions. Pour qu’il n’y ait pas ces déviations
morales, alors la personne doit avoir choisi de mettre sa gloire dans la conformité de sa vie à un certain nombre de valeurs morales. A ce moment, elle est prête à sacrifier sa carrière à ces valeurs morales.
Au-delà de l’intellectuel, l’observation de la vie quotidienne dans notre pays, semble montrer que le titre de gloire du citoyen togolais c’est d’avoir fait son chemin sans histoire.
En effet, quelles que soient les difficultés du temps présent, le citoyen montre une extraordinaire capacité d’adaptation et comme cela on le ballote de gauche à droite, sûr qu’après quelques protestations, il se taira, cherchera les moyens de s’en sortir, se serrer un peu plus, souffrir encore, mener une vie de plus en plus difficile. Ce sont ces citoyens qui recommandent à leur progéniture de ne pas faire de politique : « Qu’est-ce que cela va te rapporter ? Alors que nous, nous avons tout fait pour ne pas nous faire remarquer ! Personne ne s’occupe de nous et nous nous portons bien ! Regarde ton oncle X, il a voulu faire de la politique, il s’est battu pour Y et aujourd’hui lui il est dans la galère et Y aujourd’hui se remplit tranquillement les poches ! Mon fils, un seul adage est vrai : Pour vivre heureux vivons cachés ».
Mais il y a parfois des enfants assez audacieux pour demander à leurs parents
- « Qu’avez-vous gagné ? » .
- « La vie ! », répondent les parents.
- « Mais quelle vie ? Une vie toute étriquée où il faut compter chaque sou? Une vie où il faut accepter de se taire au risque d’étouffer ? Une vie où vous avez dû vous saigner aux quatre veines pour scolariser des enfants, qui aujourd’hui n’ont d’autres perspectives d’avenir que de chercher un moyen pour aller en Europe au risque de finir dans les geôles de trafiquants en Libye ou au fond de la Méditerranée ? Non, nous préférons nous jeter dans la politique, lutter pour arracher un avenir digne de nous ! C’est de cet engagement que nous voulons faire notre titre de gloire ! »
N’ont-ils pas raison ces jeunes ? De ne pas vouloir se cacher, de ne pas accepter de se vêtir d’une carapace d’indifférence ? De réaliser ce vœu de Stéphane Hessel qui en 2010 alors qu’il avait 93 ans écrivait « Je vous souhaite à tous, et à chacun d’entre vous d’avoir votre
motif d’indignation. C’est précieux. »
Une dernière question : quelles sont les personnes qui font les titres de gloire d’une nation ? Pour la Belgique, est-ce que cela sera Léopold II qui brilla par sa cruauté envers les Congolais ou Philippe actuel, Roi des Belges qui a eu le courage d’exprimer ses profonds regrets pour les actes commis au temps colonial ?
Il ne s’agit pas de refaire l’Histoire comme on l’entend ces jours-ci en France mais de savoir que l’Histoire est d’abord faite par des grandes figures qui marquent leur temps et donc le temps présent des hommes et des femmes et qui deviennent ainsi des icônes d’humanité en transcendant les frontières de leur communauté ou de leur pays. Ces figures ont leur place
dans l’espace public car, au nom des valeurs humaines défendues, elles n’empêchent pas des citoyens de respirer comme l’a si bien dit le philosophe Achille Mbembe. Tous nous sommes dans le temps mais nous tous, nous ne serons pas des Hommes et des femmes d’Histoire car nos choix et nos implications dans le présent déterminent notre place dans l’Histoire. Quel est alors ton vrai et bon titre de gloire ?
Lomé Le 03 Juillet 2020
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