Le soir du 3 mars sur les antennes d’une radio après la décision de la Cour Constitutionnelle du Togo sur l’élection présidentielle du 22 février dernier, un ministre demande d’être républicain en acceptant les résultats de la plus haute juridiction.
Etre républicain est une valeur car c’est la reconnaissance de la Loi comme cadre obligatoire défendant et assurant le Bien Commun. A ce titre elle s’impose à tous les citoyens (gouvernés comme gouvernants) et toutes les institutions doivent la respecter. Mais la Cour Constitutionnelle qui a proclamé les résultats est-elle républicaine ? Quelle est sa crédibilité quand elle-même dès sa création n’a pas respecté le droit et s’est présentée comme une institution sous ordre ? Cette question débattue avant l’élection demeure toujours valable. Car une institution qui n’a pas de base juste et juridique dès sa création, peut-elle prétendre dire le droit et le juste ?
Dire le droit n’est-ce pas oeuvrer à construire la paix à l’intérieur de l’Etat et entre les Etats ? Le 3 mars 2020 est comme la fin d’un processus électoral mais a-t-on dit le droit tout au long de ce processus ?
Bien qu’elle porte dans son sigle le qualificatif « Indépendante », la CENI a-t-elle été indépendante, et a-t-elle agi selon le droit ? A-t-on dit le droit dans le refus de l’accréditation aux organisations de la société civile qui ont voulu observer l’élection présidentielle de 2020 ? A-t-on dit le droit dans l’acte de retrait de l’accréditation à la CNSC ?
Le droit n’est pas qu’un ensemble de règles dont on se sert comme on veut et quand on veut. Ce n’est pas un outil modifiable sur simple désir des gouvernants. Selon Léo Strauss, le droit n’est pas « déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays. » Et Cicéron de renchérir « Ce qu’il y a de plus insensé, c’est de croire que tout ce qui est réglé par les institutions ou les lois des peuples est juste ». Tout comme le droit n’est pas qu’un ensemble de règles, il ne peut pas être réduit non plus au légal. Il ne suffit donc pas de dire que c’est légal pour que ce soit droit et juste. Car l’expérience montre l’existence de lois injustes.
Vouloir être légaliste ne peut pas signifier ipso facto être dans le droit et être juste, car si le légal est censé dire le juste il ne le dit pas toujours. De ce fait le légal ne peut pas être une condition suffisante pour dire le droit. Si tel était le cas, le nazisme ne serait jamais condamné. Car la loi le permettait. Le droit a besoin du légal mais ne saurait se réduire au légal et par conséquent dire le droit ne peut pas signifier se réfugier derrière le légal.
Le droit transporte des valeurs et à ce titre il en est l’expression. Dans aucune société le vol, la corruption, la tricherie, le mensonge l’achat de conscience, la violence ne sont considérés comme des valeurs. Aucune société ne les défend au contraire, ils sont combattus et déclarés illicites. Dire le droit c’est manifestement quelque chose de plus élevé qu’une simple application de la loi. Dire le droit, c’est affirmer des valeurs, les valeurs de la société à laquelle on appartient.
On ne peut pas dès lors être l’auteur d’une injustice et s’abriter derrière le droit. Il ne suffit pas de dire haut et fort que c’est le droit pour que ce qui est dit droit soit droit. A ce titre le droit n’est pas et ne peut pas être le domaine réservé des juristes fussent-ils de grands professeurs d’université, des hauts
magistrats. Le droit, c’est aussi le domaine des philosophes, des sociologues, des éducateurs, des anthropologues, des théologiens etc. Oublier cet aspect c’est s’attribuer de façon indue un monopole.
Etant lié à la sociabilité de l’homme, le droit fixe des valeurs d’une communauté et indique ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. Etant lié à la rationalité humaine, nous avons le droit d’évaluer les différents droits de nos Etats, ces droits qui sont sensés incarner un universel humain digne et acceptable. C’est dans ce sens que dire le droit présuppose qu’il soit défini à l’avance et pour qu’il soit défini nous ne devons pas oublier la question de Benoît Frydman et Guy Haarscher : «Les hommes peuvent-ils déterminer et établir, sous la conduite de la raison, les modalités d’une société juste qui permette et garantisse la co-existence pacifique de ses membres ? »
Ces deux auteurs nous ramènent à l’essentiel et aux rôles du droit dans un Etat. Définir les modalités d’une société juste qui permette et garantisse la co-existence pacifique de ses membres, ne devraitil pas être la préoccupation de la Cour Constitutionnelle, la plus haute instance dans un Etat ? Peuton dire qu’elle a joué ce rôle dans notre pays ? La réponse est négative sinon il n’y aurait pas depuis des années des contestations après des élections. A-t-elle joué ce rôle le 3 mars dernier? Il serait
difficile de répondre par l’affirmative. Car phénoménologiquement et juridiquement, elle n’est pas fondée et n’est même pas légale et de ce fait elle est déjà en elle-même une source de contestations.
Cela lui ôte toute crédibilité dans ses jugements. Elle risque de ne pas contribuer ainsi à la co-existence pacifique des membres de notre Etat. Vouloir passer par des acrobaties juridiques pour justifier l’injustifiable, comme ce fut le cas en 2005, c’est faire le contraire de ce que l’on professe à travers des discours « Le Togo est un pays de paix ». Car la paix ne se construit entre autres que par le droit et la justice.
Si la politique renvoie à l’organisation du vivre ensemble, on ne peut alors tenir ensemble que par la justice et c’est en cela que la justice apparaît comme le premier pilier de la politique comme l’ont rappelé les Evêques dans leur lettre d’avril 2016. Dans la même il ressort que si les instances chargées de dire le juste ne le font pas, notre société court de grands risques et c’est pourquoi l’injustice et l’impunité constituent des obstacles majeurs au vivre ensemble.
Dire le droit loin d’être une simple formalité, révèle les valeurs d’une société, car le droit n’est pas neutre et plus encore il indique le désir de vouloir permettre la résolution des conflits par des voies pacifiques afin de faciliter la co-existence des membres dans un Etat. Mais violer sans cesse le droit, avaliser les coups bas, c’est surtout mettre en danger le vivre ensemble. Puisque les frustrations créées de jour en jour par les injustices, cassent le lien social. Le vivre ensemble risque ainsi de passer sous le joug de la loi du plus fort. La force et la noblesse du droit c’est non seulement de permettre un vivre ensemble harmonieux avec nos différences mais c’est aussi et surtout d’offrir à chaque citoyen, un chemin d’humanité car il n’y a pas d’être humain sans de vraies valeurs. Aurions-nous enfin le droit de croire et de voir que les institutions chargées de dire le droit dans notre pays ont pris conscience d’une si grande tâche ?
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