Si on avait dit à tous ceux qui ont participé à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948, que ce à quoi ils pensaient avoir mis fin avec ce texte, continuerait, l’auraient-ils cru ?
Oui, ils n’étaient pas assez naïfs pour se convaincre d’avoir mis fin à l’antisémitisme, au racisme, au sexisme, à toutes ces discriminations où au nom de l’identité de quelqu’un on le persécute, le torture, le tue ! Non, ils ne croyaient pas que des hommes, parce qu’ils ont peur de qui est différent d’eux, arrêteraient du coup de tenter d’éliminer tous ceux qui ne leur ressemblent pas, ne pensent pas comme eux, ne vivent pas comme eux !
Non, au contraire, ils étaient sûrs que des hommes avides et cupides, dans le désir de gagner encore et toujours plus d’argent, allaient tenter de prendre en otage des populations entières, de les acculer à la misère, de les étouffer sous la dure loi des bottes des militaires. Ce que voulaient ces femmes et ces hommes de bonne volonté de 1948, c’était barrer la route à toutes les pratiques issues de ces sentiments discriminatoires inacceptables, à tous les choix politiques niant la qualité de personne avec des droits inaliénables à qui que ce soit : « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ; Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité… » (Préambule de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme) Ce que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme établissait, c’est que désormais tout traitement, toute gouvernance fondés sur la discrimination et la négation des Droits de la personne, est illégitime et illégal.
Aujourd’hui, presque trois quarts de siècle après, pouvons-nous dire qu’ils ont réussi ?
Oui, parce qu’on peut arrêter un policier qui a molesté un homme à terre au cours d’une manifestation, parce que des femmes peuvent porter plainte à cause des violences qu’elles ont subi, parce que des enfants peuvent se plaindre de la maltraitance de leurs parents, parce que d’un bout à l’autre de la planète on est vite au courant des persécutions liées à la religion, comme en Inde, en Birmanie avec les ROHINGYAS musulmans, et qu’on peut demander des comptes à ce sujet. Oui parce qu’un président des Etats-Unis, si puissant soitil, peut être soumis à une procédure de destitution pendant son mandat, sans avoir le droit de mettre en prison ceux qui sont à l’origine d’une telle procédure.
Cependant à y regarder de plus près, il y a des faits qui confirment l’idée que les Droits de l’Homme s’appliquent de façon très sélective dans le monde. Sinon comment croire que ceux qui dénoncent l’horreur des camps de concentration, ont été mis au courant de l’existence d’Agombio, depuis les années 1991, et qu’ils n’aient rien fait, et pire encore, qu’ils soient les meilleurs soutiens de ceux qui ont créé ce camp et de ceux qui leur ont succédé par un coup d’état en 2005 ? Sinon comment peut-on croire que le même président, chez qui on arrête le policier maltraitant un manifestant et qui se sépare même d’Alexandre Benalla, collabore aimablement depuis des années avec un président qui systématiquement envoie l’armée tabasser et tuer les citoyens qui osent manifester, un président qui fait voter une loi restreignant sévèrement la liberté de manifester ? Comment peut-on croire qu’en même temps que certains peuvent lancer une procédure d’impeachment aux Etats-Unis, des populations soient sous le joug d’une même famille durant plus de cinquante ans et n’aient même pas droit à des élections justes et équitables, en vue d’une alternance, et que cela ne gêne personne ? Que représentent véritablement les valeurs des Droits de l’homme pour l’ONU, l’Union Européenne, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, le PNUD etc ?
Oui, les femmes et les hommes de bonne volonté de 1948 ont osé affirmer des valeurs qui sont justes, mais la dignité affirmée et reconnue serait-elle uniquement valable pour les pays les plus puissants de ce monde ou encore ne concernerait-elle que ceux qui se réunissent à Davos pour conforter leur puissance et leur mainmise sur le monde ? Parce que ces pays se servent de leur puissance pour continuer à détruire l’avenir des plus pauvres en persistant à polluer la planète à leur gré, et du coup à faire disparaitre de la terre des territoires entiers à cause de la montée du niveau des océans consécutive au réchauffement climatique, on est en droit de se demander que valent les droits de l’homme pour les Etats puissants et les grandes institutions internationales ? Y aurait-il une éthique pour la diplomatie ou une éthique diplomatique totalement en dehors des valeurs des Droits de l’homme ?
Ceux qui se réunissent à Davos et qui se soutiennent mutuellement, au nom de leurs intérêts et de ceux des vendeurs d’armes, pour participer chez les autres à des guerres, à des conflits où les chefs d’Etat sèment la mort dans leur propre population comme en Syrie, peuvent-ils se réclamer de faire partie de la descendance des Modernes, de partager la spiritualité et la
philosophie, des femmes et des hommes de bonne volonté de 1948 ?
Si « Plus jamais ça ! » des femmes et des hommes de bonne volonté de 1948 avait été entendu, y aurait-ils dans les pays occidentaux des migrants parqués dans des camps de misère, après avoir été refoulés de pays en pays comme des marchandises sans valeur ?
Et plus que cela, les anciennes victimes participeraient-elles à tout ce qui est négation des Droits de l’Homme : le problème palestinien n’aurait-il pas déjà trouvé satisfaction ?
KAGAME, rescapé d’un des plus affreux génocides du 20ème siècle, étoufferait-il chez lui la moindre velléité d’opposition, sans que personne n’y trouve à redire ? Les intérêts économiques et financiers peuvent-ils tout justifier ? Où est passée la valeur de la phrase « l’homme passe infiniment l’homme » de Blaise Pascal, de Maurice Zundel ?
Heureusement que les commémorations de la Shoah, rappelle aux hommes d’aujourd’hui qu’il reste beaucoup à faire, que les victimes peuvent se transformer en bourreaux, si on baisse la garde, si on oublie toute vigilance. Qu’il ne s’agit pas de faits et d’atrocités qu’il faut mettre au passé seulement, sinon les jeunes du 21ème siècle vont croire que cela se passait au temps des barbares du 20ème siècle…
Heureusement que l’admirable travail de Serge et Beate KLARSFELD rappelle à tous que certains peuvent donner leur vie au nom du devoir de mémoire. En effet, si Serge est d’origine juive, sans être spécialement un pratiquant, sa femme Beate est allemande non juive. Et pourtant, ils se sont dépensés, durant plus de quarante ans pour la mémoire des Juifs massacrés durant la seconde Guerre Mondiale ; cela a abouti en 1981 à l’inauguration du mémorial de la Shoah où sont gravés dans la pierre les noms de 76 000 juifs déportés de France, dont 11 400 enfants morts dans les camps de concentration nazi.
Et chez nous au Togo, alors qu’à l’approche des élections on instaure de nouveau un climat de terreur, nous devrions-nous poser la question : quelle taille aurait le mur où nous pourrions graver un à un les noms des victimes de la violence depuis les années 1990 en y ajoutant celui des citoyens que personne n’a mentionnés, et celui des personnes disparues sans laisser de traces, au cours des nuits de terreur ? Mais quelle que soit sa taille, ce mur
nous le ferons ériger, « Car nous ne voulons pas oublier, nous n’oublierons pas ces graines tombés en terre, nous les évoquerons d’année en année pour enfin pouvoir pardonner aux bourreaux et aux tueurs… Nous n’oublierons pas, nous en parlerons à nos enfants, et aux enfants de nos enfants, qui en parleront aussi à leurs descendants, grâce aux monuments,
pour que cela n’arrive plus jamais sur la terre de nos aïeux.
Nous avons cru que les textes de lois s’appuyant sur les droits de l’homme suffiraient, nous avons cru qu’un texte fondamental comme la Constitution de 1992, suffirait pour nous protéger de tels actes barbares… Hélas, nous nous sommes trompés ! Pour pouvoir dire « Plus jamais ça !», c’est le coeur même de l’homme qu’il faut toucher » (Tribune, Graines tombées en terre du 14 décembre 2018 dans L’Alternative) Oui, chacun d’entre nous doit prendre à coeur le devoir de mémoire et s’en faire un artisan, sans participer au comble de la discrimination qui consiste à croire qu’il y a des victimes plus importantes que d’autres. C’est à ce prix que nous serons les dignes successeurs des femmes et des hommes de bonne volonté de 1948.
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