Dans l’ordonnancement de l’ordre juridique d’un Etat, la Constitution est la référence juridique et c’est à juste titre qu’on l’appelle La Loi Fondamentale puisque c’est d’elle que toutes les autres lois et les institutions de la République tirent leur source et légitimité. C’est le respect du principe du
respect de la hiérarchie des normes auquel obéit tout Etat de droit.
Dans une Constitution, il existe, en effet, une institution spéciale, particulière qui garantit la constitutionalité des lois et des institutions qui doivent réguler et organiser le vivre ensemble dans l’Etat. La Cour Constitutionnelle, qui joue ce rôle, se présente comme une institution fondamentale.
Cette cour apparaît, dès lors, comme la garante de toutes les autres institutions et c’est pourquoi elle est saisie pour se prononcer sur la constitutionalité et la légalité de telle ou telle décision ou de tel ou tel acte. Elle est comme la clé de voûte d’une architecture juridique qui ne saurait souffrir dès sa création d’aucune manipulation au risque de remettre en cause toute une série d’actes et de décisions qu’elle prendrait. Et c’est avant tout une question de bon sens et de rationalité.
Quel est alors le poids philosophico-juridique de la Cour Constitutionnelle installée le 30 décembre 2019 par le Président de la République du Togo ?
Le Togo connaît depuis quelques années une crise politique qui a été longtemps déniée par le pouvoir qui se fondait et se fonde, parfois à la manière des sophistes, sur une existence légale même si les textes ont été bien souvent manipulés en 2005 et en 2018. Mais à présent ce qui servait de recours et de soupape de sécurité au pouvoir et à l’ordre établi entre aussi en crise car depuis le 31 décembre 2019, l’impensable et l’inadmissible juridique fait irruption et instaure une crise légale.
Comment à une période électorale, présentée comme rendez-vous politique et juridique, peut-on prendre le risque d’installer une Cour Constitutionnelle en violant de manière fragrante le contenu de l’article 100 de la Constitution ? Cette crise légale ne viendrait-elle pas confirmer ce qu’on a voulu toujours nier, une crise au Togo ? Comment en est-on arrivé là ? Le Togo ne dispose-t-il pas de vrais, grands et compétents juristes qui, conseillant le Chef de l’Etat, pouvaient éviter ce dévoilement ou alors n’avons-nous pas de grands hommes politiques qui auraient discrètement soufflé à l’oreille du Président que l’erreur serait de taille. Telle se présente la photographie de la situation actuelle du Togo où l’irréfutable anticonstitutionnalité de la Cour Constitutionnelle (I) conduit à un indispensable dialogue comme solution politique (II).
I- L’irréfutable anticonstitutionnalité de la Cour Constitutionnelle du Togo
Le 30 décembre 2019, Le Président de la République togolaise, dans le souci de répondre peut être aux exigences de réformes issues de la feuille de route de la CEDEAO (31 juillet 2018) qui avait dépêché un expert constitutionaliste en la personne du Professeur Alioune Badara Fall, a dirigé une cérémonie dite cérémonie de prestation de serments des membres de la Cour Constitutionnelle.
« Cet acte hautement politique, reste juridiquement encadré et tout le processus devant y aboutir doit scrupuleusement se conformer aux dispositions de notre LOI FONDAMENTALE» selon les mots de la lettre ouverte du Front Citoyen Togo Debout et de Synergie-Togo en la date du 6 janvier 2020 et adressée au Chef de l’Etat.
Suffit-il que le Président de la République, en sa qualité de chef de l’Etat, organise une cérémonie de prestation de serments pour que ipso facto et de jure que la Cour Constitutionnelle ait droit d’existence ? Toute création et installation de la Cour Constitutionnelle, qui est la garante de constitutionalité dans un Etat de droit ne doivent –elles pas, uniquement et seulement uniquement, se faire que dans le respect de ce que dit la Loi Fondamentale ?
En effet, l’article 100 de La Constitution togolaise stipule que :
« La Cour Constitutionnelle est composée de neuf (09) membres de probité reconnue, désignés pour un mandat de six (06) ans renouvelable une seule fois. Deux (02) sont désignés par le Président de la République dont un (01) en raison de ses compétences et de son expérience professionnelle en matière juridique et administrative.
Deux sont élus par l’Assemblée nationale, en dehors des députés, à la majorité absolue de ses membres dont un (01) en raison de ses compétences et de son expérience professionnelle en matière juridique et administrative.
Deux (02) sont élus par le Sénat, en dehors des sénateurs, à la majorité de ses membres dont un (01) en raison de ses compétences et de son expérience professionnelle en matière juridique et administrative.
Un (01) magistrat ayant au moins quinze ans (15) ans d’ancienneté, élu par le Conseil supérieur de la magistrature.
Un (01) avocat élu par ses pairs et ayant au moins quinze (15) ans d’ancienneté. Un (01) enseignant-chercheur en droit de rang A des universités publiques du Togo, élu par ses pairs et ayant au moins quinze (15) ans d’ancienneté. »
La Constitution est claire et l’article 100 ne souffre d’aucune ambigüité car non seulement l’article indique les critères du choix de chaque catégorie, ce dont on a tenu compte pour choisir les personnes remplissant scrupuleusement les conditions, mais il est aussi écrit, de façon claire, le
nombre de membres qui composent cette Cour. Peut-on respecter les critères de désignation pour se conformer à la lettre et à l’esprit de l’article 100 et prendre distance sur le nombre indiqué ?
D’abord, le parallélisme des formes ne l’autorise pas et ensuite toute prise de liberté vis-à-vis de ce qui est écrit serait un non-respect du texte qui entraine un vice de forme et surtout une sorte de falsification de l’objet en question : la Cour Constitutionnelle.
La création, l’existence réelle et juridique ne dépendent donc pas du bon vouloir de quelqu’un fut- 3 il le Président de la République mais au contraire du strict respect de l’article de la Constitution qui fixe les critères et indique la manière d’existence.
C’est ce qu’on appelle la transcendance de la Loi Fondamentale qui établit le règne de la norme (la nomocratie). Raison pour laquelle d’ailleurs Le Front Citoyen Togo Debout et Synergie-Togo avaient parlé d’acte politique et juridique hautement encadré dans leur Lettre ouverte.
En ne respectant pas le nombre indiqué, la cérémonie de prestation de serments ne confère ni de droit ni de fait d’existence réelle à la Cour Constitutionnelle que le Président de la République a installée. C’est une Cour anticonstitutionnelle ; car elle est incomplète dans sa composition à la
création et de ce fait elle ne respecte pas les critères qui lui donne légalement droit d’exister et d’être compétente pour connaitre les sujets relevant de sa juridiction.
Il est donc important de savoir ou de rappeler que la création ne saurait être confondue avec les conditions de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
Nul ne saurait dès lors évoquer la loi de fonctionnement qui permet à une institution de statuer quand un quorum est atteint pour justifier ce qui s’est passé le 31 décembre 2019. Ce serait une confusion grave et lourde de conséquence. Car avant de fonctionner, il faut d’abord exister et
l’existence se pose et s’impose par un ensemble de critères qui confèrent légalité et légitimité. Or, dans le cas du 30 décembre 2019, la cérémonie relevait de l’ordre de création et non du fonctionnement. Comment pourrait-on, logiquement et juridiquement, recourir à l’argument de
quorum pour justifier le nombre 7 de membres présents afin d’affirmer que la Cour Constitutionnelle a été créée au Togo ?
En raison du principe logique et rationnel que ne peut fonctionner que ce qui existe préalablement et que l’existence est le présupposé de la jouissance du droit du fonctionnement, il faut par conséquent s’assurer de l’existence de la Cour avant de recourir à la règle du quorum. On ne peut pas avoir une Cour incomplète à compléter plus tard au stade de la création. Par contre après la création, une absence pourrait se justifier et la Loi prévoir un quorum pour la validation des décisions. De ce fait
une Cour incomplète ne saurait avoir d’existence légale et constitutionnelle. On n’a pas besoin d’un diplôme de droit constitutionnel avant de comprendre ce qui pose problème pour tout citoyen averti ; la simple logique humaine avec une culture juridique permettent de comprendre cette exigence pour ne pas défendre et surtout tenter de vouloir normaliser l’inacceptable et l’injuste.
Pourrait-on évoquer le principe de la collégialité de la Cour pour justifier que le manque de deux membres ne saurait porter atteinte à l’existence juridique de la Cour au simple motif que le collège était présent et que les absents pourraient rejoindre ce collège à tout moment ?
D’abord le terme même d’absents est une erreur et ne conviendrait pas car les supposés absents n’existent même pas encore, donc pour être vrai le bon terme serait « les inexistants ». Il ne s’agit pas de la remise en question du principe de la collégialité. Ce principe existe indépendamment de la
Cour. Il ne renvoie pas non plus à un nombre à partir duquel s’applique ledit principe. Ce qui est en cause ici ce n’est pas la collégialité mais c’est le non-respect du contenu de l’article 100 qui donne existence et légalité à ladite institution. Il aurait fallu ne pas mettre un nombre dans la Constitution mais de fixer simplement les grands principes de la Cour ; mais une fois que le nombre est ainsi indiqué dans la Constitution, il faut en tenir compte pour la faire exister et c’est à l’ensemble que s’applique le principe de la collégialité.
Enfin, peut-on tenter de combler cette grave erreur juridique du 31 décembre 2019 en évoquant de grands noms de juristes consultés avant d’opérer ce changement constitutionnel avec un tel contenu précis comme le stipule l’article 100 ?
Une chose est sûre, c’est que le recours à des arguments d’autorité ne saurait marcher ici au risque d’exposer sa propre compétence et celle des supposés recours. Mais là encore il faut se demander si les experts juristes consultés faisaient des propositions de modification de loi ou d’article de la
Constitution fixant les grands principes. En effet, il est exact de soutenir que la Constitution prévoit la création de la Cour Constitutionnelle mais c’est à la loi de fixer le nombre, l’organisation et le fonctionnement car le nombre, étant fonction de l’évolution démographique peut varier d’un temps à un autre. C’est bien pourquoi il ne relèverait pas de la Constitution mais de la loi. Mais au cas où la Constitution met toutes les précisions sur les critères et même le nombre aucune dérogation juridique ne saurait-être indiquée.
Et si la Cour Constitutionnelle à sa création est anticonstitutionnelle et donc illégale comment peut –elle prétendre garantir la constitutionnalité des lois et décisions dans la République ? Comment peut-elle prétendre proclamer les résultats des prochaines élections ? Serait-elle même compétente à recevoir les dossiers des candidats et à se prononcer même sur leur recevabilité ? Ne serait-elle pas elle–même frappée d’institution incompétente pour être saisie ? Elle devient incompétente en tout y compris même de son rôle de juge constitutionnel, donnant les résultats
des élections.
L’erreur juridique du 31 décembre 2019 a donc des conséquences fatales et insoupçonnées à moins que la décision des autorités politiques soit de vouloir consacrer, par des faits, que le Togo est tout sauf un Etat de droit. Vouloir justifier la légalité de la Cour Constitutionnelle issue de la cérémonie du 31 décembre 2019, c’est proclamer devant la communauté internationale l’inexistence de l’Etat de droit au Togo d’une part et c’est rejeter tout discours du Gouvernement qui soutenait, devant des institutions internationales, l’idée du respect et de progrès des droits de l’Homme au Togo d’autre part.
L’anticonstitutionnalité de la Cour Constitutionnelle du Togo fait entrer le processus électoral qui devrait conduire à l’élection présidentielle du 22 février 2020 dans une grave phase de turbulences politique et juridique et par conséquent dans une incertitude dont la seule issue serait soit de remodifier l’article 100 de la Constitution, soit de trouver une issue politique par la convocation d’un dialogue débouchant sur un accord politique qui donnerait le temps pour mettre en place les différentes institutions avant de créer la Cour Constitutionnelle.
II- L’indispensable dialogue pour un accord en vue d’une transition démocratique
Une fois que le constat de l’anticonstitutionnalité de la Cour est fait, et que la volonté d’apparaître et surtout d’être un Etat de droit démocratique moderne est manifeste, alors la voie qui semble être la plus indiquée et la plus respectable sans perdre la face serait, dans l’optique d’une historique
décision, de trouver un accord politique par un vrai dialogue en vue de correspondre à ce que dit le philosophe Paul Ricoeur : « Vivre avec les autres et pour les autres dans des institutions justes, voilà le but de la politique ». Il ne suffit donc pas d’avoir des institutions simplement pour la forme mais qu’elles soient justes, légales et légitimes.
Le Togo traverse depuis plus de trois décennies une crise institutionnelle, elle n’a pas été acceptée par tous. La banalisation de la crise institutionnelle doublée de crise de légitimité a donc atteint son paroxysme dans l’actuelle crise qui remet en selle les deux autres dimensions précédemment 5
bâclées.
Que faire ? Voilà la question qui se pose pour non seulement retrouver un processus électoral digne de foi mais surtout pour repartir sur de bases saines, justes et crédibles. Nul n’a la solution de façon dogmatique en dehors de la concertation citoyenne entre les gouvernants et les gouvernés. La forme de cette concertation doit être aussi discutée entre les acteurs (partis politiques et organisations de la société civile) en évitant les erreurs du passé car il y a eu de nombreux dialogues sans issus au
Togo.
L’illégalité de la Cour Constitutionnelle deviendrait ainsi une chance pour tous les Togolais en cette année 2020 et ce sera l’année de la victoire de tout un peuple et non la victoire d’un parti sur un autre ou encore moins la victoire d’un camp contre un autre, car un accord politique nécessitant une
transition pacifique serait une clé de sortie de la présente illégalité.
2020 serait par conséquent l’année de la capacité de recommencer avec une vraie transition qui, dans le sens de se donner de vraies institutions pour le vivre ensemble dans un esprit de réconciliation, intègre les vertus de « l’homo capax » de Paul Ricoeur : l’homme capable du pire mais
aussi et surtout capable du meilleur. En effet il écrit : « Sous le signe du pardon, le coupable serait tenu pour capable d’autre chose que de ses délits et de ses fautes. Il serait rendu à sa capacité d’agir… C’est de cette capacité restaurée que s’emparerait la promesse qui projette l’action vers l’avenir. Et la formule de cette parole libératrice, abandonnée à la nudité de son énonciation, serait :
tu vaux mieux que tes actes. »
Dans cette optique plus qu’une Cour Constitutionnelle qui serait garante de la cohésion et de la restauration du lien social, le dialogue vrai pour une transition démocratique serait une chance pour un nouveau départ. Il se ferait avec la force du pardon qui, toujours selon Paul Ricoeur, permet
l’oubli de la dette et non l’oubli des faits (dont il faut se souvenir pour ne plus les refaire), dans la recherche du devoir de mémoire et d’une mémoire purifiée pour la re-construction d’un nouvel avenir politique. Ne serait-il pas mieux au lieu de fuir l’illégalité de la regarder en face afin de lui donner un autre sens ? N’est-ce pas du ressort de l’homme de donner sens à son histoire et à l’Histoire ?
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