Dans les traditions africaines les plus profondes, il n’y a pas de “je” sans “nous”. La vie communautaire, le clan, le village, la famille élargie : tout repose sur un principe fondamental, aujourd’hui plus que jamais d’actualité — le vivre-ensemble.
À une époque où les fractures sociales, politiques, religieuses et économiques menacent l’unité des peuples, le vivre-ensemble n’est pas un luxe. C’est une urgence. Un appel. Une nécessité. Il est temps de nous réapproprier cette valeur ancestrale, non comme une idée abstraite, mais comme un engagement quotidien, concret et collectif.
L’Afrique a toujours su vivre ensemble : une mémoire à réveiller
Contrairement à certaines idées reçues, l’Afrique n’a pas à apprendre le vivre-ensemble. Elle doit seulement se souvenir. Nos sociétés traditionnelles, avant l’arrivée des modèles coloniaux, fonctionnaient selon des codes précis d’hospitalité, de dialogue, de médiation, de respect des différences. Le griot, le chef, la prêtresse, l’aîné : chacun avait un rôle à jouer pour maintenir l’équilibre du groupe.
La palabre sous l’arbre à palabres n’était pas un simple échange de mots : c’était une technologie sociale sophistiquée, conçue pour prévenir les conflits, apaiser les tensions et garantir la cohésion.
Revivre ensemble, c’est réactiver cette sagesse.
Différences, richesses : bâtir l’unité dans la diversité
Dans de nombreux pays africains, les différences ethniques, religieuses, linguistiques sont souvent instrumentalisées pour diviser. Pourtant, ce sont ces différences qui, lorsqu’elles sont bien comprises et respectées, font la richesse et la force du continent.
Vivre ensemble, ce n’est pas gommer nos particularités, c’est apprendre à coexister harmonieusement avec elles. C’est faire de nos accents un chant polyphonique. C’est comprendre que la diversité n’est pas une menace, mais une opportunité de mieux se connaître, de mieux se compléter.
De Dakar à Lomé, de Kinshasa à Nairobi, des initiatives locales fleurissent : des écoles bilingues, des forums interreligieux, des marchés communautaires, des festivals culturels mixtes… Partout, la société civile montre que l’unité n’attend pas l’État pour se manifester.
Les freins au vivre-ensemble : regards lucides sur nos défis
Mais soyons justes : le vivre-ensemble ne se décrète pas, surtout dans des contextes marqués par des décennies de frustrations, de marginalisations, d’injustices. Pour qu’il soit sincère et durable, il faut identifier et affronter les obstacles.
L’inégalité : Tant que certains auront tout pendant que d’autres n’ont rien, le vivre-ensemble restera un slogan vide.
L’ignorance : Beaucoup de conflits naissent d’une méconnaissance mutuelle. Apprendre l’histoire des autres, leur langue, leur culture, c’est déjà bâtir un pont.
La manipulation politique : Trop souvent, les leaders divisent pour mieux régner. Il est temps que les citoyens reprennent le pouvoir de dire non à la haine organisée.
Le vivre-ensemble, pour être crédible, doit aller de pair avec la justice, l’équité et la vérité.
Une jeunesse porteuse d’espoir
Heureusement, une nouvelle génération se lève. Elle voyage, étudie, crée, connecte. Elle refuse les barrières héritées du passé. Sur les réseaux sociaux, dans les quartiers, à travers la musique, les arts ou l’entrepreneuriat, les jeunes africains montrent que vivre ensemble, c’est possible — et même cool.
Des collectifs panafricains voient le jour. Des entrepreneurs créent des espaces inclusifs. Des influenceurs dénoncent les stéréotypes. La jeunesse n’attend pas que les anciens règles les différends : elle invente déjà un nouvel imaginaire du commun.
Vivre ensemble, c’est aussi vivre avec la nature
Dans les cultures africaines, l’humain n’est jamais seul. Il vit avec les arbres, les rivières, les ancêtres, les animaux, les esprits. Le vivre-ensemble ne se limite donc pas à la sphère humaine. Il implique aussi un rapport harmonieux avec l’environnement.
Respecter la nature, c’est respecter la vie. C’est comprendre que polluer une rivière, c’est souiller un lien sacré. Que détruire une forêt, c’est couper la mémoire d’un peuple. La spiritualité africaine nous enseigne que tout est lié — et c’est cette conscience qui doit guider le vivre-ensemble d’aujourd’hui.
Le vivre-ensemble est un choix radical d’amour
Choisir de vivre ensemble, ce n’est pas naïf. C’est radical. Audacieux. Politique. Spirituel. C’est refuser la haine, refuser les logiques de repli, refuser l’individualisme forcené. C’est dire oui à l’entraide, à l’écoute, à la co-construction.
Le vivre-ensemble n’est pas derrière nous, il est devant nous. À inventer. À rêver. À bâtir. Ensemble. Avec courage, avec lucidité, avec amour.
Dimitri AGBOZOH-GUIDIH
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